PO a écrit :A partir de là, la question que je me pose depuis le 7 octobre, c'est pourquoi le Hamas a mené ce raid meurtrier, sachant par avance la réaction ultra-guerrière tous azimuts de Netanyahu ?
Ça, personne n'est vraiment capable d'y répondre avec certitude, à part quelques cadres du Hamas. C'est Ruud je crois qui avait posé exactement la même question il y a quelques mois.
Il y quand même plusieurs pistes.
D'abord, la normalisation des relations de plusieurs pays arabes avec Israël, et, à terme, des rapprochements politiques et économiques, qui faisaient des revendications des Palestiniens une sorte de variable d'ajustement dans les négociations.
Le Maroc, par exemple, a signé un accord de coopération sécuritaire avec Israël, et justifie sa position en partie par des liens culturels étroits (beaucoup d'Israéliens ont des ancêtres venus du Maroc). Mais il y trouve également et surtout un intérêt propre, puisqu'une reconnaissance d'Israël et de sa souveraineté selon ses exigences propres permet au Maroc d'élargir la reconnaissance internationale du Sahara Occidental comme territoire légitimement marocain, sous l'égide d'une pression américaine envers tous leurs alliés communs.
Pour les Émirats Arabes Unis, l'enjeu est davantage économique, avec des accords bilatéraux (avec Israël) dans de nombreux domaines, dont la finance, le commerce, la sécurité, l'aéronautique (spécifiquement dans l'aérospatial, qui sera assurément dans les prochaines années la vitrine des Émirats à l'international).
Et derrière, plusieurs autres pays arabes qui s'apprêtent à emboîter le pas, dont la puissante Arabie Saoudite. De fait, à partir de ce moment là, la reconnaissance d'Israël et la normalisation des relations des pays arabes avec l'état Hébreu n'est plus absolument conditionnée par la reconnaissance par Israël de la souveraineté Palestinienne, a minima sur l'ensemble de la Cisjordanie. A l'origine de ces accords, les dirigeants palestiniens ont parlé, à raison, d'une trahison de ces pays arabes, qui ont renoncé à cette ligne historique au nom de leurs intérêts propres.
Néanmoins ce renoncement est très impopulaire dans les sociétés de ces pays en question. Il y a un fort sentiment fraternel arabe (plus fantasmé que réel d'ailleurs) constitutif même de l'identité culturelle nationale parfois. Il est dès lors assez délicat de naviguer habilement, avec des gouvernements qui ont pu mesurer la fragilité de leur assise il y a moins de 15 ans, avec les printemps arabes, entre les intérêts stratégiques du pays et une opinion publique très attentive au sort des Palestiniens.
Dès lors, le fait d'agresser Israël sur son sol, et en tuant de nombreux civils, est peut être (très certainement) pour le Hamas un moyen de déclencher un nouveau conflit d'ampleur (ils ne s'attendaient probablement pas à ce niveau de disproportion de la riposte quand même) et d'obliger, donc, les États arabes engagés dans ce processus de normalisation, à reconsidérer leurs positions, avec des intérêts nationaux et internationaux qui deviennent très difficilement conciliables. Car il faut bien comprendre que si même les pays Arabes n'appuient plus les positions palestiniennes, c'est game over complet.
Autre explication possible, qui s'agrège à cette première piste plus qu'elle ne s'y oppose : le statu quo étant, pour les Palestiniens, davantage une condamnation à mort à petit feu qu'une véritable coagulation de la situation. Entre la colonisation que rien (pas même les alliés d'Israël) ne semble pouvoir enrayer, un gouvernement Israélien qui vire au suprématisme et dont certains membres évoquent explicitement des projets d'émigration arabe forcée et une situation économique enlisée, sciemment bridée par Israël, le Hamas a (avait ?) peut être en tête que ces attaques sont le seul moyen (quel qu'en soit d'ailleurs le prix à payer pour les Palestiniens) d'obtenir, avant que cela ne devienne, soit totalement fantaisiste, soit logistiquement irréalisable, la création d'un État palestinien.
D'ailleurs, c'est même la ligne des Américains, qui poussent à la création de cet État. Même s'il ne semble pas y avoir de limites à ce que peut s'autoriser Israël envers son allié historique et inconditionnel, on a pu voir que toute la communauté internationale intensifie la pression pour une solution à deux états.
Il est facile aussi, après coup, de dire que le Hamas devait s'attendre à un tel déchaînement de violence. Personnellement, je m'attendais à une riposte importante mais certainement pas à ce que Gaza soit totalement rasée.
D'abord parce qu'ils sont revenus dans Gaza avec un nombre incroyable d'otages (il suffit de reprendre les historiques; par le passé, un seul otage pouvait permettre d'obtenir des contreparties énormes, comme des centaines, voire des milliers de prisonniers libérés). Les dirigeants du Hamas ont pu penser qu'ils obtiendraient avec ces otages ce qu'ils n'ont jamais pu obtenir par le passé, en coinçant aussi le gouvernement Israélien, qui devrait jongler entre la riposte armée et l'opinion publique préoccupée par le sort des otages en question.
Ensuite, parce qu'un État qui se veut civilisé (ce qui est sensé le distinguer justement de son ennemi), ne peut se permettre, normalement, de se voir accusé par le reste du monde de commettre des massacres ou un nettoyage ethnique, ce qui est presque inévitable quand on voit l'objectif (totalement irréalisable) militaire de Tsahal.
Enfin, il y a certainement aussi des intérêts propres à l'organisation elle même du Hamas, qui voulait se réaffirmer comme acteur armé et non comme simple administrateur d'un territoire occupé, ou qui souhaitait se replacer en opposition à ses concurrents politiques de Cisjordanie, qui enchaînent les échecs diplomatiques depuis des années. Ou peut être s'agit-il aussi, au moins en partie, simplement de l'expression d'une haine de l'ennemi, à qui l'on a voulu faire essayer le goût du sang.