Nathan Gourdol de L'ÉQUIPE a écrit :Grégory Tafforeau, l'ancien latéral gauche et capitaine du LOSC, reste marqué par un vif accrochage entre le Suisse Stephan Lichtsteiner et son entraîneur, qui illustrait toute la soif de vaincre des Dogues sous Claude Puel.
Contraint de mettre un terme à sa carrière en décembre 2011 en raison d'une blessure récurrente au dos, qui l'empêchait de poursuivre avec le SM Caen, Grégory Tafforeau est toujours resté proche des terrains. Entraîneur depuis une dizaine d'années, il dirige actuellement le Stade d'Orchies (Régional 2), commente les matches de Ligue des champions du LOSC à domicile en Ligue des champions sur France Bleu Nord, et tente de trouver du temps pour aller voir jouer la dernière de ses trois filles (en U14), « totalement mordue de foot ». Mais « les trois quarts de [son] temps » filent surtout au Pizza Zio de Mérignies (sud de Lille), le restaurant, ouvert tous les jours sauf le lundi, qu'il a repris depuis six ans avec son épouse. « À la base, ce n'était pas prévu que j'y passe autant d'heures, mais on s'est pris dans le rythme de la restauration. »
« Le joueur le plus fort avec lequel vous avez joué ?
Éric Abidal. Il arrivait de Monaco pour se relancer (à l'été 2002), retrouvait Claude Puel, et on a découvert un joueur largement au-dessus de tout le monde. À lui seul, il avait relevé le niveau de l'équipe. Il avait une intensité supérieure, et on avait l'impression que même s'il était à 50 %, il se baladait dans la vitesse, dans l'intelligence, dans les duels.
Le plus drôle ?
Sans hésiter, Geoffrey Dernis. C'était le boute-en-train du groupe, une performance parce que Claude Puel n'était pas le coach le plus ouvert à ça. Quand on se déplaçait en costume-cravate, on retrouvait les cravates coupées en deux ou les chaussettes. Son défaut, c'est qu'il ne savait pas trop s'arrêter. Il n'était pas très discret, et ça l'a certainement desservi avec Puel.
Le plus fort que vous avez affronté ?
Juan Roman Riquelme. Je n'étais pas au marquage sur lui, mais quand on avait joué Villarreal (en phase de groupes de la Ligue des champions 2005-2006 : 0-0 au Stade de France, 0-1 en Espagne), il nous avait scotchés. Il ne perdait pas un ballon, un autre monde sur le plan technique, la vision du jeu, alors qu'il jouait en marchant. Le danger, c'était d'ailleurs de trop l'admirer. Des joueurs d'une telle élégance, on n'en voit plus beaucoup.
Le plus méchant ?
Pas très original, mais Franck Jurietti à Bordeaux, Cyril Rool... Chez nous, on avait Stathis Tavlaridis qui était doué dans ce domaine (rires). Il ne faisait pas la différence entre les matches et les entraînements, il y allait de la même façon et tout le monde prenait. Avec le VAR, ces joueurs auraient beaucoup plus de mal à utiliser tout ce vice.
La plus grosse fête ?
Je n'ai pas gagné beaucoup de titres, donc mes meilleures fêtes étaient en fin de stage de pré-saison. Ça durait jusqu'au petit matin. Il y avait quelques spécimens, comme Michel Bastos, Rafael Schmitz. On ne sortait pas souvent, mais quand on le faisait, on le faisait bien. Avec le centre de formation de Caen, je me souviens d'un stage à Tignes où Christophe Chabot - très prometteur même s'il n'a pas percé - avait disparu. En dormant dans le froid, l'issue aurait pu être fatale, mais on l'avait finalement retrouvé avec le front collé sur la cuvette.
L'anecdote de vestiaire qui vous a marqué ?
L'épisode de la gifle avec Eden Hazard. Il venait de monter en équipe première avec quelques jeunes, il était très sûr de lui. Nous, on était de l'ancienne école, on demandait du respect. Un jour, il y a eu un épisode où Franck Béria ne s'était pas senti respecté, car Eden l'avait vanné sur sa coiffure. Donc Franck l'avait giflé devant le vestiaire. L'épisode s'était reproduit quinze jours après, avec un autre joueur (Nicolas Plestan avait giflé Hazard). À l'époque, les problèmes se réglaient un peu comme ça. Ça a servi de leçon à tout le monde, ça s'était vite calmé.
L'entraîneur qui vous a le plus marqué ?
Claude Puel, par son état d'esprit. Quand c'était bien, il ne le disait pas. Quand ça ne l'était pas, il allait au conflit tout de suite. Il était rigide, difficile, mais je n'ai jamais revu un tel compétiteur. C'était même à l'excès. Il participait avec nous aux entraînements. Le moindre jeu, il fallait le gagner, et il nous a transmis ça. Finalement, on est devenus à son image, les adversaires savaient qu'ils allaient souffrir. Il a créé un collectif fort, qui nous a permis d'atteindre des sommets comme la victoire contre Manchester United (1-0, le 2 novembre 2005). J'ai aussi connu Vahid (Halilhodzic) à mon arrivée, hyper charismatique et ultra-exigeant. Je me rappelle que je mettais trois réveils le matin par peur de me louper. Mais je lui dois beaucoup, il m'a lancé dès le barrage de Ligue des champions contre Parme (2-0, 0-1, en août 2001).
La plus grosse engueulade ?
Stephan Lichsteiner s'est battu sur un jeu à l'entraînement avec Claude Puel. On avait dû les séparer, c'était lunaire de voir le coach échanger des coups avec un joueur. Cet épisode illustrait les deux compétiteurs hors pair qu'ils étaient. D'ailleurs, Puel ne lui en avait pas tenu rigueur. Il y avait quelques journalistes présents, on pensait que ça allait faire grand bruit, mais pas plus que ça.
Votre plus beau but ?
Une frappe de 30-35 mètres contre le Zénith Saint-Pétersbourg au Stadium Nord en Coupe de l'UEFA (2-1, le 4 novembre 2004). J'ai la vidéo, et j'y tiens énormément. C'était un décalage de Milenko Acimovic, je tente, normalement ça part au-dessus, mais là, trajectoire rectiligne et ça fait lucarne opposée. Il faisait très froid, mais ça m'avait bien réchauffé (rires).
Le transfert qui a failli se faire ?
Monaco, deux ans de suite au mercato d'hiver. Mon agent était resté une semaine là-bas, mais Claude Puel n'avait pas voulu me libérer. On avait commencé à négocier avec Laurent Banide (entraîneur de Monaco entre octobre 2006 et juin 2007), mais il avait été remplacé par Ricardo, et les discussions se sont arrêtées.
Votre plus grand regret ?
D'avoir été privé d'une belle sortie avec Lille (à l'été 2009). On ne m'a pas permis de le faire, j'ai quitté le LOSC en trois jours, sans qu'on me donne la possibilité de saluer qui que ce soit. J'en veux énormément aux personnes qui m'ont fait vivre ça, le président Michel Seydoux, le coach Rudi Garcia. Ce n'est pas passé du tout avec lui, j'ai vécu une saison très difficile, et il aurait fallu qu'on se parle. Mais malheureusement, je n'avais personne face à moi. J'ai fini dans un mini-loft, ça m'a dégoûté du foot pro où l'humain a disparu. Je n'avais même pas été autorisé à communiquer sur mon départ, car on m'avait fait signer une clause interdisant tout commentaire. J'ai joué près de 300 matches au club (289), j'étais capitaine, je méritais une autre sortie.
Votre plus grande fierté ?
D'avoir percé en étant un bosseur, et d'avoir fait seulement deux clubs. D'avoir démarré et fini à Caen, avec tout ce que j'ai connu à Lille au milieu. Le LOSC reste mon club de coeur, même si je suis parti avec beaucoup d'amertume. C'est une fierté d'être considéré comme un grand ancien à l'occasion des 80 ans. »