Le dixième astronaute français va séjourner six mois dans la Station spatiale internationale. Avec un programme d’expériences scientifiques bien chargé.
Nom de la mission : Proxima. Avec le « x » bien au centre de l'écusson, pour rappeler que celui qui va la mener à bien, à 400 km au-dessus de nos têtes, est le dixième spationaute français. Le 17 novembre à 23 h 20, heure de Moscou (21 h 20 à Paris), Thomas Pesquet s'envolera depuis Baïkonour, dans le Kazakhstan, à bord d'un Soyouz MS-03 où prendront également place le cosmonaute russe Oleg Novitskiy, commandant du vaisseau, et l'astronaute de la Nasa Peggy Whitson. Destination : la Station spatiale internationale (ISS) , où le trio séjournera six mois avant de regagner la terre ferme en mai prochain. A trente-huit ans, le Rouennais, ancien pilote de ligne sur un A320, est le premier Français admis à bord de l'ISS depuis Léopold Eyharts en 2008.
Dans ce laboratoire volant qu'est la Station, Thomas Pesquet aura fort à faire dans le cadre de sa mission scientifique. Au cours des quelque 180 jours qu'il passera en quasi-apesanteur, l'ingénieur de bord prendra part à pas moins d'une centaine d'expériences, réparties à parts égales entre l'Agence spatiale européenne (Esa) et la Nasa.
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L'intérêt de l'ISS par rapport à un laboratoire terrestre (où les manipulations sont bien plus faciles et moins coûteuses) est la microgravité qui y règne - de l'ordre de 0,0001 fois la gravité terrestre (qui est par définition de 1 g), à comparer à la gravité lunaire (0,17 g) ou martienne (0,38 g). Cette quasi-absence de gravité présente un intérêt particulier, notamment dans les sciences de la matière. Déclic, l'une des expériences au programme de la mission Proxima, vise par exemple à mieux comprendre comment un métal passe de l'état solide à l'état liquide ou inversement - une question difficile à étudier finement sur terre, où la gravité « masque » toute une série de phénomènes sous-jacents, mais dont la résolution pourrait déboucher sur la mise au point, à terme, de process plus efficaces en métallurgie, voire de métaux plus performants.
Vieillissement accéléré
Toutefois, si la plupart des disciplines scientifiques seront couvertes par la mission Proxima, c'est bien l'étude des effets de la microgravité sur le corps humain et le système nerveux qui se taille la part du lion. « Un séjour dans l'espace peut être comparé à un vieillissement accéléré mais réversible », explique Sébastien Barde, responsable du Cadmos, le laboratoire du Cnes spécialisé dans la physiologie. Depuis le séjour de Jean-Loup Chrétien à bord d'une station soviétique en 1982, les scientifiques français sont en pointe dans ce domaine, d'une importance stratégique à l'heure où les principales puissances spatiales envisagent de lancer une première mission habitée vers Mars. « De nombreux paramètres physiologiques se dégradent du fait de l'absence de gravité, poursuit Sébastien Barde. Certains muscles ne travaillant pas, la masse musculaire diminue, les os perdent de leur densité, les artères vieillissent, etc. Mais cette dégradation ne se fait pas de façon linéaire : un séjour de six mois n'équivaut pas à 24 séjours d'une semaine. »
Une question, notamment, hante les chercheurs. Jusqu'ici, tous les astronautes ayant participé à la conquête spatiale ont refait du muscle et vu leurs os se redensifier une fois revenus sur terre. Même un séjour de six mois, qui entraîne une perte de 20 à 30 % de la masse musculaire, une baisse de 10 à 20 % de la densité osseuse et qui équivaut à un vieillissement des artères de vingt ans, a des effets réversibles. Mais qu'en sera-t-il lorsque les premiers astronautes volontaires pour aller sur Mars passeront trois ans dans l'espace ? Sur une telle durée, les spécialistes n'ont, pour l'instant, aucune certitude. La mission Proxima n'apportera pas de réponse définitive à cette question, mais elle contribuera à améliorer notre connaissance de l'impact de la micropesanteur sur la physiologie humaine.
De la perturbation de notre horloge biologique, basée sur une alternance jour-nuit qui n'a pas cours dans l'espace, jusqu'aux conséquences de l'absence de « haut » et de « bas » sur nos réflexes, un large éventail de points seront abordés au travers d'expériences dédiées. Energy, par exemple, permettra d'affiner notre estimation d'une donnée clef, celle de la dépense énergétique d'un astronaute. Celle-ci n'est pas la même que sur Terre, tous les muscles ne travaillant pas, mais on ne la connaît pas précisément. Ce qui ne permet pas d'ajuster au mieux le stock alimentaire, lequel doit cependant prendre le moins de place possible étant donné les contraintes d'encombrement qui existent dans une station spatiale ou un vaisseau (ce n'est pas pour rien qu'à bord de l'ISS la moitié de l'eau bue par les passagers provient du retraitement de leurs urines et de leur transpiration). Pour cette expérience Energy, Thomas Pesquet devra noter toutes ses prises de nourriture mais aussi collecter des échantillons d'urine, mesurer avec un masque la quantité d'oxygène qu'il absorbe, etc. Ainsi, même la pause-déjeuner sera mise à profit pour faire de la science !
Cette question de la nutrition est d'autant plus importante que certains chercheurs pensent qu'elle pourrait, au travers d'une répartition optimale entre les différentes types de nutriments (protides, lipides, glucides), faire partie des contre-mesures mises en place lors de tout séjour dans l'espace pour lutter contre les effets de l'absence de gravité (lire ci-dessous).
Outre les expériences scientifiques proprement dites, Thomas Pesquet aura la charge de tester dans l'espace un certain nombre de « démonstrateurs » élaborés par le Cnes avec divers partenaires privés (Airbus Defence and Space, BioMérieux, mais aussi plusieurs PME françaises). Parmi ces innovations, un échographe téléopéré depuis la Terre (Echo), un appareil améliorant l'efficacité et la rapidité de l'analyse de la potabilité de l'eau (Aquapad), des surfaces intelligentes fixant les bactéries dont on pourrait tapisser l'intérieur de la station spatiale (Matiss), un casque de réalité virtuelle qui sera utilisé pour analyser les réponses visio-motrices en l'absence de « haut » et de « bas » (Perspectives)... « Qu'il s'agisse de télémédecine, d'accès à l'eau potable ou de l'utilisation de surfaces antibactériennes en milieu hospitalier, tous nos projets ont été conçus dans la perspective de leurs retombées terrestres », précise Sébastien Barde. En attendant, c'est là-haut que ça se passe.
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