Messagecagenon » ven. 8 avr. 2022 22:03
Excellent Jack Dion comme d'habitude.
Premier tour de la présidentielle : la grande peur du camp du Bien
Point de vue
Par Jack Dion
Publié le 08/04/2022 à 17:00
Imprimer l'article
Partager l'article sur Facebook
Partager l'article sur Twitter
Un quarteron d’éditorialistes a entrepris de trier entre les électeurs pour définir ceux qui votent bien et ceux qui votent mal. Accrochez vos ceintures ! Le point de vue de Jack Dion.
En 2017, à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, Libération avait osé un titre qui est entré dans les annales : « Faites comme vous voulez mais votez Macron ». Il s’agissait alors de mobiliser le ban et l’arrière-ban électoral face à Marine Le Pen, étant entendu que l’élection de l’enfant de François Hollande allait éradiquer à jamais le danger d’extrême droite. Cinq ans après, on peut apprécier l’efficacité de la médication proposée.
Cette fois, sans même attendre le deuxième tour, un quarteron d’éditorialistes en mal de sensations fortes a opté pour une autre forme de mobilisation que l’on pourrait résumer ainsi : faites ce que vous voulez mais votez pour le camp du Bien. Pour celui-ci, ils ont trouvé une appellation commode : « la Raison » – du nom du fameux cercle jadis inventé par Alain Minc pour soutenir Édouard Balladur avant de se rallier un peu plus tard à François Hollande, puis à Emmanuel Macron, avant de virer fan de Valérie Pécresse, ce clone de Macron qui se rêvait Calife à la place du Calife.
LA NOMENKLATURA MÉDIATIQUE DANS SES ŒUVRES
En quelques heures, on a vu quelques gloires de la Nomenklatura médiatique se pâmer devant la déesse Raison avec des cris d’orfraie à l’hypothèse de la voir trembler sur ses bases. Ainsi, Nicolas Barré, directeur du journal Les Échos (propriété de Bernard Arnault, ami de qui vous savez), regrette amèrement dans un éditorial l’existence d’un « fossé séparant les candidats de la raison de ceux de la chimère ». Il dénonce « un camp qui ne s’interdit aucun mensonge, aucune tromperie, aucune peur ». Et de citer, en représentants de ce « camp » honni Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, comme s’il y avait le moindre point commun entre ces deux candidats, hormis le fait de représenter des électorats populaires qui utilisent le bulletin de vote pour exprimer leur colère d’une manière incompatible.
Dans le même journal, le même jour, Eric Le Boucher, ex-membre de la Commission Attali sur la croissance mis en place par Nicolas Sarkozy, où figurait un certain Emmanuel Macron, signe une chronique intitulée : « La première victoire du populisme en France ». C’est ce que l’on appelle un titre prometteur.
LE CAMP DE LA RAISON ET LES AUTRES
De même que certains mélangent les choux et les carottes, Eric Le Boucher met dans le même sac d’opprobre Le Pen, Mélenchon, Zemmour, Dupont-Aignan et quelques autres petits candidats pour en déduire qu’ils forment un total de 57,5 % des voix, selon les sondages. Il les oppose ensuite à ce qu’il appelle « Le camp de la Raison » représenté par Macron, Jadot, Pécresse et Hidalgo (Jadot et Hidalgo seront ravis du cadeau). Conclusion de notre expert : « Le populisme est nettement majoritaire en France. La démagogie, puisque c’est son autre nom depuis la Grèce antique, remporte les suffrages des Français ». Si les chars russes ne sont pas encore à Paris, les chenillettes de la subversion foncent sur le pays. Aux armes, citoyens !
L’incapacité d’un représentant des élites parisiennes à comprendre le peuple a toujours quelque chose de pathétique. D’ailleurs, le recours au mot « populisme » permet d’exhaler son mépris de classe tout en gardant ses gants blancs. Mais quand Eric Le Boucher tente de s’expliquer, le naturel revient au galop.
LE PROBLÈME POPULISTE
Écoutons-le détailler ce qu’est, pour lui « le problème populiste ». Prêt pour l’expérience ? On prend sa respiration, on retient son souffle, et on lit : « L’électeur populaire se caractérise par cela : être devenu sourd aux discours de la Raison… Il n’écoute que ceux qui pensent comme lui, qu’il trouve à foison sur les réseaux sociaux ». Après examen approfondi, le chroniqueur décèle un « enfermement psycho cérébral de type antivax chez tous les électeurs populistes ». Bref, le populiste est un con doublé d'un malade mental, ce qui relève de la double peine. C’est grave, Docteur Le Boucher ?
À LIRE AUSSI : "On aura à la fois un président et un pays transformé en Cocotte-Minute prête à exploser"
On retrouve un diagnostic voisin chez Nicolas Beytout, directeur du journal L’Opinion, dont l’actionnaire principal n’est autre que l’incontournable Bernard Arnault. À l’approche du premier tour de la présidentielle, Nicolas Beytout a jugé bon de fustiger « l’égalitarisme de façade » qui consiste à mettre sur le même plan tous les candidats à la présidentielle. À l’en croire, il faudrait en finir avec un système accordant « autant de chances à des candidats prêts à gouverner qu’à ceux qui ne sont là que pour témoigner ». On pourrait aussi supprimer les élections, ou du moins ne conserver que les candidats adoubés par les marchés.
LA QUESTION TABOUE
Dans la foulée, Nicolas Beytout en arrive à la même conclusion que ses frères de rang : « Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, les partis extrémistes et protestataires sont majoritaires… Plus d’un Français sur deux rejette le modèle de société ouverte que la droite et la gauche de gouvernement ont, depuis des décennies, défendu ». Conclusion : « Se refermer ou se réformer, c’est là, désormais, notre enjeu. »
À LIRE AUSSI :"Dénoncer les charges : la petite musique commune de Macron, Pécresse et Le Pen"
Jamais il ne viendrait à l’idée de nos excellences de s’interroger sur le pourquoi du comment et sur l’efficacité des « réformes » qui poussent certains à rêver de retour en arrière, et d’autres à envisager une rupture avec le désordre établi. Jamais ils n’esquisseront le bilan réel des politiques suivies par une droite et une gauche parfaitement interchangeables, ce qui n’est pas pour rien dans la frustration des couches populaires.
Faute de mener ce travail critique, les professionnels de la profession préfèrent diaboliser ceux qui ne sont pas adeptes de la pensée correcte (ça fait du monde) et les dénoncer collectivement via une dénonciation des « extrêmes » qui évite d’analyser le positionnement des uns et des autres. Programme économique et social en mains, il y a plus de points communs entre Macron et Le Pen (ou Zemmour) qu’entre Mélenchon et l’extrême droite. Mais dès lors qu’il faut fustiger les mauvais électeurs comme en d’autres temps les mauvais Français, on préfère les assimiler les uns aux autres pour éliminer toute pensée dissidente. Drôle de performance pour des esprits qui se réclame de la Raison !