Hors ligneMessageEntonox » mer. 14 juil. 2021 20:21
Malgré sa voix douce et son débit mesuré, Jean-Marc Mickeler, le patron de la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), sait se faire entendre. Il a été l'interlocuteur privilégié de l'État pour défendre la cause des clubs français impactés par la crise sanitaire et le marasme des droits télévisés. Mais s'il les a défendus avec force face aux pouvoirs publics, il les met aujourd'hui en garde. Avec leurs pertes, leurs dettes et leur modèle un peu obsolète, ils vont tout droit dans le mur. Il appelle donc au sursaut et à des réformes immédiates pour ne pas mourir.
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« Quelle est la situation financière des clubs français ?
En deux saisons, ils ont perdu 700 M€ de recettes : 400 millions de droits télévisés et 300 millions de transferts. Quand on ajoute les autres éléments liés la crise du Covid (billetterie, sponsoring), on arrive à une perte de 730 M€ en 2020-2021, qui tient compte d'un abandon de créances de plus de 250 M€ des actionnaires.
Les clubs avaient déjà perdu 269 M€ lors de l'exercice précédent. Mais il y a plus inquiétant. Avant transferts, on est sur une perte d'exploitation de 1,4 milliard d'euros (contre 1,2 milliard la saison précédente). On mesure l'ampleur des dégâts. D'autant que les capitaux propres des clubs ont été divisés par quatre en deux ans. Et que l'endettement s'est envolé. Il y avait 500 M€ de dettes à la fin de la saison 2018-2019. On est à plus de 1 milliard aujourd'hui. Les clubs sont financièrement exsangues. On est à l'os.
C'est inquiétant...
Il a fallu stopper l'hémorragie avant de songer aux remèdes. Avec la Ligue, la DNCG et l'État, on a fait en sorte que le football français puisse bénéficier de tous les dispositifs d'aides pour les secteurs en crise. La Ligue, avec le soutien de l'État, s'est mobilisée avec le PGE (prêt garanti par l'État) pour se substituer à Mediapro et éviter l'accident industriel. Dès le mois de mars, la DNCG a travaillé avec les clubs pour les sensibiliser au fait qu'on allait assouplir un certain nombre de règles, mais tout en étant intransigeants sur la sécurisation de la trésorerie pour la saison à venir.
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C'est ce qui nous a permis d'être dans une situation où il n'y aura pas de rétrogradations en divisions inférieures cet été. Lors de la présentation des budgets des clubs, on avait identifié 600 M€ de risques. Sur ce montant, 500 millions ont été préfinancés. Les actionnaires ont très largement répondu présent, soit en réinjectant directement du cash, soit en ayant recours à des prêts d'établissements financiers de premier rang.
« Si la France devait affronter une quatrième vague de Covid avec zéro jauge, si les 330 M€ venaient à ne pas être au rendez-vous, on ne pourrait pas exclure des dépôts de bilan sur la saison 2021-2022 »
Jean-Marc Mickeler
Êtes-vous assuré que tous les clubs pourront finir la saison qui va démarrer ?
L'absolue garantie, je ne peux pas la donner. Si la France devait affronter une quatrième vague de Covid avec zéro jauge, si les 330 M€ (pour les deux matches de Canal +) venaient à ne pas être au rendez-vous, on ne pourrait pas exclure des dépôts de bilan sur la saison 2021-2022. Mais ce n'est pas le scénario central.
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Bordeaux a été traité comme tous les autres clubs, avec les mêmes demandes, le même niveau d'exigence, la même analyse des risques. Ni plus ni moins. En toute équité avec les autres clubs. Le projet présenté à la DNCG repose sur un apport d'argent frais et des financements sécurisés mis sous séquestre pour la totalité des montants concernés.
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La nature du repreneur (Gérard Lopez), qui a laissé une situation peu brillante à Lille, n'a pas inquiété la DNCG ?
Concernant Lille, trop de personnes parlent sans savoir... Le projet qui nous a été présenté à Bordeaux repose en partie sur une capacité à faire du trading de joueurs. Il n'est pas très différent de celui de certains autres clubs. La grande différence est qu'il s'agit d'une stratégie assumée. Est-ce que c'est un projet risqué ? Par nature, oui. Est-ce que c'est le plus risqué de la Ligue 1 ? Non. Est-ce qu'il a besoin, par essence, d'un marché des transferts actif ? Oui. Est-ce que c'est une garantie absolue pour Bordeaux à horizon de trois ou cinq ans ? Non. Est-ce que le risque est plus important à Bordeaux qu'ailleurs ? Nous ne le pensons pas.
Il y a un milliard d'euros de dettes sur les clubs. Cela veut dire que la plupart vont avoir besoin de générer du trading actif dans les années à venir pour s'en sortir. Pour la saison 2021-2022, on un prévisionnel de pertes avant transferts de plus de 1,3 milliard d'euros. Les clubs prévoient de faire 850 M€ de plus-values sur les transferts. Ce qui est un montant totalement irréaliste. Mais comme on a fait préfinancer 500 M€ (ce qu'ils sont censés encaisser dès 2021-2022), même si les clubs ne faisaient pas leurs ventes, il ne doit pas y avoir de dépôt de bilan en cours de saison.
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Que faut-il changer pour sortir de cette spirale infernale ?
À la fin de la saison prochaine, suivant les transferts réalisés, on aura une perte comprise entre 500 millions et 1 milliard d'euros. Il va falloir que les actionnaires remettent au pot dans une situation où plusieurs m'ont dit : "Jean-Marc, tu es gentil, mais c'est la dernière fois." Ils sont nombreux à être au bout de leur capacité ou volonté de boucher les trous. Le pire est à venir.
« On ne peut pas exclure, au terme de la saison, des dépôts de bilan »
Jean-Marc Mickeler
On ne peut pas exclure, au terme de la saison, des dépôts de bilan. Car avec 1 milliard de dettes, zéro fonds propres, une exploitation qui dégage plus de 1 milliard de pertes, il n'y a plus d'établissements financiers ou de fonds qui accepteront de financer le football français.
Il court donc à la catastrophe.
Il faut être extrêmement courageux sur la réforme du modèle. Des mesures doivent être prises sans délai. Les clubs doivent réduire leur masse salariale. Il faut limiter à 25 le nombre de joueurs sous contrat, hors ceux formés au club. Aujourd'hui, en moyenne, on est à 37 joueurs par club en L1. Sept clubs ont plus de 40 joueurs sous contrat ! Cela n'a pas de sens.
Il faut aussi réglementer l'usage des prêts afin d'éviter les mesures de contournement. Le troisième élément est le salary-cap. J'ai beaucoup écouté ceux qui disent, depuis des années, qu'en le mettant en place, on allait altérer la compétitivité du football français... Je n'y crois pas un seul instant si on fait un salary-cap qui encadre la masse salariale globale et qui n'empêche donc pas de payer un joueur le tarif que l'on veut si cela rentre dans l'enveloppe.
Le salary-cap n plafond qui limite la masse salariale d'un club. Une pratique courante, notamment, dans les ligues professionnelles aux États-Unis.
Ce salary-cap doit s'accompagner de mesures contraignantes. Si tu ne le respectes pas, tu es interdit de recruter pour la saison suivante. L'idée est que la masse salariale, en prenant en compte les salaires chargés, les amortissements et les honoraires d'agents, ne dépasse pas 70 % des revenus. À cause de leur masse salariale démesurée, les clubs français se mettent dans l'obligation de vendre chaque année leurs meilleurs joueurs.
Je n'arrive pas à comprendre qu'un modèle, qui, de manière structurelle, amène à céder les meilleurs éléments, améliore ton produit... Pour moi, un Championnat compétitif n'a pas besoin de vendre. Même s'il peut évidemment le faire pour réinvestir. Enfin, il faut que les clubs reconstituent leurs fonds propres au plus tard au 1er juin 2024. Cela mettrait tout le monde sous contrainte.
« Sans réforme volontariste, courageuse et immédiate, il n'y a pas d'issue au-delà de la saison à venir »
Jean-Marc Mickeler
À vous écouter, on peut être inquiet pour l'avenir...
Sans réforme volontariste, courageuse et immédiate, il n'y a pas d'issue au-delà de la saison à venir.
Est-ce que les clubs en ont vraiment conscience ?
L'avenir nous le dira. »